D. LES NOUVELLES POSSIBILITES OFFERTES PAR LA MONTEE EN FREQUENCE

Résumé  L'amélioration des techniques autorise la réalisation d'instruments performants à des fréquences supérieures à 100 GHz. Les fréquences intéressantes sont 118 GHz (raie de l'oxygène) et 183 GHz (raie de la vapeur d'eau). AMSU comportera 20 canaux dont 3 autour de 183 GHz, et le sondeur millimétrique de Météosat de 2nde génération pourrait être composé de 10 canaux dont 5 vers 118 GHz et 3 vers 183 GHz. Des expé­riences aéroportées ont déjà été effectuées autour de ces deux fréquences aux Etats-Unis ; le projet franco-britannique MARSS s'intéresse aux fréquences fenêtres 89 et 157 GHz.

 

 

 

 

La radiométrie micro-onde spatiale est en train de suivre dans une certaine mesure l'évolution de la radioastronomie. Celle-ci s'est enrichie au cours des dernières années par une "montée en fréquence" continuelle. Au fur et à mesure que les techniques avancent et permet­tent de réaliser des récepteurs toujours moins bruyants et à plus haute fréquence, les radioas­tronomes cherchent à observer les signatures spectrales de nouvelles transitions moléculaires. Parallèlement, pour ce qui est de l'observation de la Terre et surtout de l'atmosphère, on es­saie d'exploiter de nouvelles raies d'absorption : 118 GHz pour l'oxygène, 183 GHz pour la vapeur d'eau, vers 200 GHz pour l'ozone. Il y a bien sûr un certain retard avec la radioastro­nomie, qui en est à des observations largement opérationnelles à 350 GHz et au-delà, à cause des exigences de fiabilité des programmes spatiaux par rapport à leurs homologues terrestres et aéroportés. Nous allons présenter l'intérêt de ces nouvelles fréquences et quelques projets associés, en particulier AMSU-B et Météosat de seconde génération. Les descriptions plus tech­niques de ces deux projets sont renvoyées à la partie III.

L'avantage majeur de 118 GHz sur 60 GHz est la résolution deux fois meilleure, pour un même diamètre d'antenne. Pour un satellite géostationnaire c'est un intérêt primordial. D'autre part la raie à 118 GHz est isolée et presque symétrique, ce qui permet d'utiliser un ra­diomètre superhétérodyne avec analyse de la raie (filtrage) en fréquence intermédiaire (voir partie III) : considérable simplification conceptuelle par rapport au matériel requis pour un système vers 60 GHz. Enfin le traitement du transfert radiatif (modèle direct) est facilité par le fait que la raie est isolée et par le caractère négligeable de l'effet Zeeman (voir partie II). L'inconvénient essentiel est la plus grande sensibilité aux nuages, comme nous le verrons au chapitre II.C. Un autre désavantage a trait aux fonctions de poids, qui sont plus larges qu'à 60 GHz, ce qui n'aide pas l'inversion.

Le sondage autour de la raie d'H2O à 183 GHz devrait permettre d'obtenir le profil de densité de la vapeur d'eau entre environ 2 et 10 km d'altitude. Les satellites actuels se conten­tent d'une information intégrée (quantité totale de vapeur d'eau) car la raie à 22 GHz qu'ils observent n'est pas assez forte.

 

 

 

 

 

1. AMSU

L'instrument AMSU (Advanced Microwave Sounding Unit) doit remplacer MSU à bord des satellites NOAA vers 1994. On distingue AMSU-A qui regroupe les fréquences les plus basses, en particulier celles utilisées pour le sondage en température, et AMSU-B pour les cinq fréquences les plus hautes. AMSU-A est sous la responsabilité de la NOAA et AMSU-B est chapeauté par le British Meteorological Office. Les 15 canaux d'AMSU-A sont listés sur le tableau A [Zenone, 1987]. La tache au sol (à 3 dB) pour tous les canaux est large de 50 km au nadir.

 

 

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Tableau A : fréquences des canaux d'AMSU-A.

 

La figure 1, tirée de Chédin et al. [1988 (a)], montre les fonctions de poids des canaux d'AMSU-A, calculées par l'Université d'Oxford [Warner, 1985] : l'atmosphère est admira­blement échantillonnée.

 

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Figure 1 : fonctions de poids des 14 premiers canaux d'AMSU-A.

 

AMSU-B est un sondeur comportant deux canaux fenêtres et trois canaux près de 183 GHz. L'ensemble des données recueillies permettra d'estimer le profil de densité de la vapeur d'eau. Les spécifications concernant les performances des canaux 17 à 20 sont énumérées sur le tableau B [document Matra]. Le canal 16 est placé à 89 GHz (comme le canal 15). La fré­quence centrale du canal 17 n'a jamais été complètement fixée : on a envisagé 150, 157 ou 166 GHz. Ce canal 17 est supposé corriger les données des trois canaux les plus sensibles à la va­peur d'eau (canaux 18 à 20). Sa position par rapport à ces canaux n'est donc pas arbitraire. D'autre part des considérations d'ordre technique (séparation éventuelle de type quasi optique avec les ca­naux 18 à 20 — voir chapitre III.B) sont également susceptibles d'intervenir pour le choix de cette fréquence centrale 1. La largeur de bande de ces canaux n'est pas non plus fixée de façon draconienne. Il faut simplement que la bande choisie reste à l'intérieur d'une bande allouée (voir le tableau II.B.–B). Les canaux 18 à 20 sont double bande : l'information reçue pro­vient de façon symétrique des deux côtés du centre de la raie d'H2O.

 

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Tableau B : spécifications pour les canaux 17 à 20 d'AMSU-B.

 

La largeur de la tache au sol à 3 dB est de l'ordre de 15 km. On a choisi 22 ms pour le temps d'intégration.

 

 

(Note de bas de page)

1 : En 1989, c'est 157 GHz qui semblait avoir la faveur des consultants responsables, exception faite de D. Staelin, du MIT, qui déclarait préférer de loin 166 GHz.

 

 

 

 

 

2. METEOSAT DE SECONDE GENERATION

Lorsque le programme opérationnel actuel Météosat arrivera à son terme, vers 1995 ou, d'après des informations plus récentes de l'Agence spatiale européenne, vers 1998, le pro­gramme dit de seconde génération devra poursuivre et enrichir la mission présente.

Le travail de définition des instruments prévus a été lancé par la réunion qui a eu lieu à Avignon en 1984. Les études résultantes [Chédin et al., 1986 (a et b)] ont montré l'intérêt de placer en orbite géostationnaire un sondeur infrarouge et un sondeur micro-onde. Une se­conde réunion organisée par l'Agence spatiale européenne s'est tenue à Hohenschwangau en mars 1986, et une troisième à Ravenne en novembre de la même année. Certaines spécifica­tions ont été modifiées suivant le résultat des réflexions des scientifiques et après les études de faisabilité conduites par les industriels entre deux réunions. La réunion à Bath en mai 1988 a mis l'accent sur le caractère peut-être trop ambitieux du projet, son coût et ses difficultés de réalisation. Certaines spécifications ont par suite été relâchées 1.

Le rapport de l'Agence [esa, 1987 (a)] donne la liste des canaux des sondeurs infra­rouge et micro-onde et de l'imageur en visible et infrarouge, dans leur définition de Ravenne. Nous reprenons ici, sur le tableau C, les caractéristiques du sondeur micro-onde.

 

 

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Tableau C : spécifications de Ravenne pour les canaux millimétriques de Météosat.

 

Nous allons détailler quelques spécifications concernant ce sondeur micro-onde.

Les fréquences des cinq premiers canaux ont été choisies pour disposer de fonctions de poids dont les maxima soient distribués régulièrement en altitude, sur la zone européenne (angle zénithal voisin de 50°) ; voir à ce sujet les simulations du chapitre II.B. La figure 2 [esa, 1987 (a)] montre la variation du sommet de la fonction de poids avec l'éloignement du centre de la raie à 118,75 GHz.

 

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Figure 2 : variation de la hauteur du pic de la fonction de poids avec la fréquence

(visée avec angle zénithal de 50°).

 

Les canaux 6 et 7, outre leur intérêt pour déterminer la contribution de la surface, aide­ront à évaluer précisément les zones nuageuses et à lever les ambiguïtés entre des nuages à des altitudes différentes et ayant un contenu en eau différent. La position exacte de ces canaux n'est pas affirmée.

Les canaux 8 à 10 sont identiques aux trois derniers canaux d'AMSU-B et fournissent un profil d'humidité.

Les spécifications concernant le balayage (limite des zones observées, période entre deux images d'un même point de la Terre, écart entre deux lignes de balayage) ont changé au cours des années et certaines recommandations de Ravenne sont assez singulières. La période de répétition des mesures sur la zone européenne doit être de l'ordre de 1 heure à 1 heure et demie.

Le problème de la résolution au sol a également prêté à de nombreuses discussions, en particulier sur la définition de pixel (ou plutôt de "tache au sol") : fallait-il choisir la projection au sol du lobe de rayonnement à 3 dB, à 6 dB ou jusqu'au premier minimum ? Il semble que le consensus se soit fait sur une tache à 3 dB (3 dB instantaneous field of view — IFOV) de diamètre au nadir égal à 50 km (Ravenne) ou 65 voire 75 km dans une version relâchée (Bath). Cela correspond à une antenne de diamètre 2 m à 2,5 m au maximum.

La sensibilité radiométrique doit être (pour Ravenne) 0,4 K pour le canal 1, 0,25 K pour les canaux 2 à 7 (Bath tolère 0,35 K pour le canal 2), 0,5 K (ou 0,6 K pour Bath) pour les ca­naux 8 à 10. Ces sensibilités sont déterminées par les contraintes de précision des mesures en vue de l'étape d'inversion des données, mais tiennent également compte de ce qui a été dé­claré, par l'industrie, réalisable ou non.

Il n'y a aucune spécification concernant la polarisation.

Signalons enfin que l'idée de placer un sondeur millimétrique sur un satellite géostation­naire ne date pas d'hier : en 1978 des études de faisabilité avaient déjà été réalisées aux Etats-Unis pour le projet MASR (Geosynchronous Microwave Atmospheric Sounding Radiometer), qui devait comporter 11 canaux autour de 118 GHz, 6 canaux autour de 183 GHz, un canal à 104 GHz et un autre à 140 GHz.

 

 

(Note de bas de page)

1 : Le projet de sondeur millimétrique, jugé beaucoup trop lourd à l'Agence spatiale européenne, est même actuellement mis "en sommeil". La définition des autres instruments est également loin d'être figée. Parmi les nouveaux instruments qui pourraient faire partie de la mission finalement retenue, citons un imageur à plus haute résolution (500 m) opérant dans le visible et un sondeur infrarouge à très haute résolution (éventuellement un interféromètre).

 

 

 

 

 

3. LES EXPERIENCES AEROPORTEES DE PREPARATION

Plusieurs équipes de par le monde ont fait voler ou se préparent à faire voler, sur avions, des récepteurs millimétriques, souvent pour valider des modèles qui pourront servir au traite­ment des données des futurs satellites.

 

 

 

3.a. 118 GHz

Après les premières expériences de sondage de l'atmosphère à 118 GHz depuis un avion à 11 km d'altitude [Ali et alii, 1980], l'équipe de David Staelin au MIT (Massachusetts Institute of Technology) a construit le sondeur MTS (Millimeter wave Tempe­rature Sounder) [Gasiewski et al., 1987], qui comporte 8 canaux autour de 118,75 GHz et un canal à 53,6 GHz. L'instrument est monté à bord d'un avion pouvant atteindre une altitude de 20 km. L'observation se fait uniquement vers le bas, et avec un balayage orthogo­nal à la di­rection de déplacement de l'avion.

Gasiewski [1988] a décrit en détail les mesures qui ont été faites avec cet instrument et les informations qu'on peut en tirer. Il a montré que des profils de température pouvaient être obtenus par des observations à 118 GHz. Bien sûr, théoriquement, l'effet des nuages est plus sensible qu'à 60 GHz, mais selon lui et ses collaborateurs la plupart des nuages sont soit trop légers pour dégrader l'estimation du profil de température, soit tellement épais qu'ils sont ac­compagnés de précipitations ; si bien que le champ d'application d'un sondage vers 60 GHz n'est pas beaucoup plus étendu qu'à 118 GHz [Gasiewski et al., 1987].

Les régions de précipitations sont très facilement détectées par des changements de tem­pérature de brillance dans les canaux les plus transparents. L'amplitude relative de ces pertur­bations renseigne sur l'altitude du sommet de la pluie et sur son intensité.

Les nuages de glace élevés, observés par en dessus, sont repérés par des chutes quel­quefois spectaculaires de la température de brillance (réflexion du fond du ciel à 3 K — voir chapitre II.C) : jusqu'à 200 K pour les canaux transparents.

 

 

 

3.b. 183 GHz

La raie de l'hémioxyde d'hydrogène à 183,31 GHz a suscité plusieurs expériences en vue du lancement d'AMSU-B. En particulier le NASA/Goddard Space Flight Center et le Georgia Institute of Technology ont développé le sondeur AMMS (Advanced Microwave Moisture Sounder), composé de 4 canaux, un à 92 GHz et les autres centrés à 183,31 ± 2, ± 5 et ± 9 GHz, et ont démontré expérimentalement la possibilité du sondage de l'humidité dans la troposphère [Wang et al., 1983 et 1988]. Avec le même appareil accompagné d'autres radiomètres à des fréquences plus basses, Wilheit et al. [1982] ont observé des zones de pré­cipitation et ont relevé eux-aussi des températures de brillance très basses (140 K) pour les nuages de glace.

Des techniques d'estimation de profil de vapeur d'eau par radiométrie spatiale à 183 GHz sont présentées par Ulaby et al. [1986] ; voir aussi Kakar [1983].

A signaler également un sondeur aéroporté pour déterminer le profil d'humidité au-des­sus de 20 km par des visées presque horizontales [Peter et al., 1988].

 

 

 

3.c. MARSS

Bien qu'étant un peu en retard dans le domaine expérimental par rapport aux Améri­cains, les Européens sont bien sûr concernés par la préparation d'AMSU-B et Météosat de se­conde génération. Le British Meteorological Office, en collaboration avec le LMD a fait construire un radiomètre destiné à préparer le traitement des données des canaux transparents d'AMSU-B. Ce radiomètre et les missions qu'il doit effectuer sont présentées par Prigent et al. [1988 (c et d)] et décrits avec plus de détail par Prigent-Benoit [1988]. Rappelons compendieuse­ment les prin­cipales caractéristiques de ce projet appelé MARSS (Microwave Airborne Radiometer Scan­ning System).

Le radiomètre comporte deux canaux : 89 et 157 GHz. Les premiers vols viennent d'être effectués par un avion Hercules (modified Lockheed C-130). L'instrument est monté à l'intérieur d'un bras placé sur le côté du fuselage, ce qui permet des visées vers le bas et vers le haut jusqu'à ± 40° par rapport à la verticale. L'intérêt majeur apporté par la visée vers le haut est la possibilité de séparer plus facilement les contributions respectives de l'atmosphère et de la surface. Le balayage se fait longitudinalement (parallèlement à la direction de déplace­ment de l'avion, along-track en anglais) contrairement aux systèmes décrits précédemment (balayage latéral, cross-track). Ces derniers fournissent une image de la zone étudiée, grâce au déplacement de l'avion, ce qui n'est pas réalisable avec un balayage longitudinal. En revanche celui-ci autorise l'observation d'une même zone sous différents angles de sondage.

Les attentes des missions prévues sont variées : mesures avant tout de la température de brillance apparente de la mer, mais aussi des atténuations apportées par les nuages épais, des précipitations et encore une fois de l'impact des nuages de glace. L'avion doit pouvoir s'élever jusqu'à 12 km.

 

 

 

3.d. Maquette du sondeur millimétrique de Météosat de seconde génération

Le DEMIRM (approximativement DEpartement d'étude du Milieu interstellaire en Infra-Rouge et en Millimétrique), de l'Observatoire de Paris–Meudon, construit avec le financement du CNES et le support de Matra une "maquette" (un prototype, en quelque sorte) de l'éventuel sondeur millimétrique de Me­teosat. Les spécifications concernant les canaux sont rigoureu­sement conformes à celles de Ravenne. Cette maquette doit être terminée au début de 1990. Quelques campagnes de vols sur un avion qui reste à choisir pourraient alors compléter admi­rablement les expériences des autres équipes décrites précédemment. Plus de détails sont don­nés dans le chapitre III.E.

 

 

 

 

 

4. AUTRES PROJETS

Mentionnons rapidement le programme SSM/T-2, qui est la suite de SSM/T et res­semble beaucoup à AMSU-B : canaux à 183,31 ± 1, ± 3, ± 7 GHz et à 91,655 et 150 GHz. Cet appareil doit voler vers le début des années 1990 [Curtis et al., Bennett, 1987].

Il y a également, dans un tout autre domaine de prospection, le projet MLS (Microwave Limb Sounder) [Waters et al., 1988 (b)] : il s'agit de trois radiomètres montés sur le satellite UARS (Upper Atmosphere Research Satellite) qui devrait être lancé vers 1991. Les observa­tions seront effectuées au limbe, c'est-à-dire en quelque sorte tangentiellement aux couches de l'atmosphère. Cela permet d'accroître le trajet de sondage et donc de détecter des compo­sants mineurs de la haute atmosphère tels que l'ozone. Les canaux sont situés vers 205 GHz (O3, ClO, H2O2), 183 GHz (H2O, O3) et 63 GHz. Des observations par ballon stratosphérique préparent actuellement la mission [Waters et al., 1984 et 1988 (a)].

Enfin la montée en fréquence ne s'arrêtera pas à 200 GHz : l'étude de raies intéressantes vers 600 GHz (la première raie de HCl et les plus fortes raies de ClO en particulier) pourra être l'une des missions du colossal projet EOS (Earth Observing System) de la NASA.

 

 

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